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L’œuvre de Marie Aublé par Teva Flaman Ph. D.

     D’abord, Marie Aublé propose d’adopter une posture contemplative élémentaire face à la représentation méticuleuse de territoires périurbains où se perd le regard, non sans délice. La nature, prépondérante, s’y déploie en études rigoureuses propices à l’errance et en interprétations oniriques de fragments de mémoire. Au hasard d’une clairière ou d’un sous-bois, l’artiste interprète ses souvenirs de promenades, qu’on imagine étendues et adonnées à la dérive. Mais les éléments d’un imaginaire infantile troublent bientôt la volupté des opulentes gerbes florales, des épais duvets de mousse qui ondulent sur les ruisseaux, des herbes hautes montées en étoffes ; cet imaginaire, libre de s’exprimer dans la quiétude verdoyante, fait alors d’un bruit ou d’une silhouette non loin une présence inquiétante, manifestée sous la forme d’un spectre, d’un monstre, d’une divinité païenne – figure du rival, de l’ennemi, de la force qui dépasse notre entendement, ce que la psyché humaine a forgé au fil des millénaires et qui apparaît dans nos moments d’ambulation en forêt, de vulnérabilité, de rêverie. La nature elle–même se présente comme un étrange organisme, un organe à vif – ce qu’elle est – sous la forme d’un hybride faune-flore animé par une palette brillante et nuancée. De ces rencontres émergent une nouvelle syntaxe, une autofiction relevant du langage photographique, qui agence l’ensemble des toiles de l’artiste en un récit cohérent monté à la manière d’un album de famille.

 

Cet état des lieux d’une très grande minutie met en valeur le goût évident de l’artiste pour l’observation et le détail, évoquant l’attitude anthropologique des peintres naturalistes du début du 19e siècle, convoquant aussi les réalistes américains, ce qui ne pourrait se déployer sans une très grande maîtrise de la lumière et de la composition. L’héritage artistique de Marie Aublé, articulé avec intelligence : audace, équilibre, parcimonie, ne s’arrête pas là. Son travail rappelle la richesse du vocabulaire d’un Douanier Rousseau, ce que souligne la naïveté du traitement réservé aux figures humaines, et la sublimation et la liberté formelle des postimpressionnistes. De temps à autre, l’image s’affranchit de cet héritage moderne et trahit délibérément son essence picturale par la diphtongue de la touche, l’aplomb d’un empâtement, une dégoulinure trouble-fête. De même, par endroits, le rabattement en aplat de l’arrière-plan, la collusion du code linguistique de la peinture avec celui de l’écriture et les références subtiles à la culture populaire affirment cette autoréférentialité qui en fait une peinture résolument postmoderne.

 

La puissance de la peinture de Marie Aublé réside dans la dialectique entre la translation iconique d’un regard attentif, l’interprétation d’un récit personnel et la mise en scène d’un important patrimoine mémoriel. Remarquable, elle dénote la culture, le discernement et le savoir-faire de l’artiste qui écrit de nouvelles chroniques de province où s’illustre une mythologie contemporaine.

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